Pauvre Clio

 Dans J&L Histoire

J&L Histoire

Figure récurrente de la rhétorique partisane, rêvée en argument décisif de la joute verbale démocratique, convoquée comme arbitre dans l’arène politique, cette pauvre Clio doit avoir la carcasse bien douloureuse. Tiraillée de tous côtés et insultée par ceux qui, cela va de soi, la connaissent le moins. Travestie, maltraitée, tordue et déformée afin de rentrer dans des boites trop petites et fabriquées a priori, elle qui n’a jamais eu vocation à être enfermée. Obligée d’assumer tant de responsabilités, alors qu’elle propose mais jamais ne dispose. Quel martyre ne subit-elle pas !

clio vermeer

Johannes Vermeer, The Art of Painting, c. 1666, oil on canvas
Kunsthistorisches Museum, Vienna
© All rights reserved

Il en va de l’histoire comme de beaucoup de choses : si l’on prenait la peine de réfléchir et d’exercer un tant soit peu notre curiosité, nous dirions moins de bêtises. « De tout temps, les hommes », « c’est la tradition », « il en a toujours été ainsi » sont des formules si simplistes qu’elles devraient instinctivement éveiller l’esprit critique de tout individu honnête. L’histoire est une clé d’une infinie richesse pour appréhender notre époque, mais elle n’est en rien prescriptive. Au contraire, elle enseigne que tout résulte de la construction sociale et de l’action des hommes ! Elle n’est surtout pas l’excuse commode des ambitions ou des points de vue. Loin de désigner le rang dans lequel il faudrait rentrer – et où, évidemment, aucune tête ne devrait dépasser – elle est une invitation à l’ouverture, à la curiosité, à la compréhension, à la diversité, à la critique, au changement même. In fine, elle est un formidable instrument d’émancipation individuelle et collective.

Si Clio n’appartient à personne, il est du devoir de chacun de la protéger. La connaître et la respecter sont certainement les meilleures défenses qui puissent lui être offertes. Pourquoi ne pas commencer par garder en mémoire l’idée que les choses sont toujours plus compliquées que ce qu’elles semblent être à première vue ?

QGB

POUR ALLER PLUS LOIN:

BLOCH Marc, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, 2007, 159 P.

GRUZINSKI Serge, L’histoire, pour quoi faire ?, Paris, Fayard, 2015, 300 p.

PROST Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Points », 1996, 341 p.

BLANC William, CHERY Aurore, NAUDIN Christophe, Les historiens de garde, Paris, Inculte, 2013, 254 p.

Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) : http://cvuh.blogspot.fr/

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