Morale, tabous: l’artiste est-il libre de tout ?
J&L Insid'Art
A première vue, l’artiste est plus ou moins libre de tout. En effet, en France, le code de la propriété intellectuelle protège les œuvres quels que soient leur contenu, leur mérite ou leurs auteurs.
Cela n’empêche pas pour autant la répression. Si l’Urinoir de Duchamp avait amusé en son temps, l’exposition de cadavres d’animaux souvent coupés en morceaux par Damien Hirst n’a pas les mêmes conséquences. Prétendre qu’un urinoir, un objet inanimé, sale et utilitaire est de l’art et prétendre qu’une vraie vache coupée en deux avec son veau dans le ventre est également de l’art, évidemment, l’impact n’est pas le même.
Alors que l’art abstrait avait provoqué une révolution dans le monde de l’art, voilà maintenant que nous mettons en scène du vivant. Oui, quelqu’un a osé exposer des entrailles dans un musée. Et pour cela Damien Hirst connait un succès mondial. Y avait-il finalement un autre but que celui-ci ?
Exposition "Our Body", Gunther Von Hagen
Mais, dans ce cas, pourquoi l’exposition itinérante de cadavres « Our body » a-t-elle été refusée à Paris en 2009 ? Elle avait pourtant rencontré un franc succès à Tokyo en 1995 puis à Berlin, Londres ou encore Bruxelles. L’exposition était même auparavant passée par Lyon et Marseille, et avait rencontré un succès tout aussi fulgurant.
A Paris, après quelques jours d’ouverture au public, l’exposition des 17 cadavres disséqués a pourtant été contrainte de fermer, décision de justice oblige. En cause, « une atteinte illicite au corps humain », des « colorations arbitraires », des « mises en scènes déréalisantes » et un manque de « décence ».
Pourtant, la portée de l’exposition n’était en aucun cas artistique mais scientifique. Cette exposition était « l’œuvre » du médecin anatomiste allemand Gunther Von Hagen, qui a révolutionné les méthodes de conservation des corps en mettant au point la technique de la « plastination ». L’exposition permettait donc aux visiteurs d’admirer ou d’étudier, selon les cas, cette technique innovante dans un but avant tout scientifique.
Aussi, la contemplation de cadavres humains dans un but scientifique est elle reconnue comme une ignominie alors que l’exposition de cadavres animaliers, sacrifiés pour l’occasion dans un but uniquement artistique est tolérée et même adulée.
Damien Hirst
Exposer des animaux passe encore, mais des cadavres humains, surtout pas ! C’est l’humain, l’homme, la morale et la décence qui se retrouvent remis en question dans l’exposition de la mort humaine. Cela constitue le comble de l’interdit. Mais si les cadavres animaliers deviennent monnaie courante en art, c’est peut-être aussi parce que nous considérons depuis un certain moment que l’art n’a plus rien d’éthique ou de moral, et que son rôle n’est pas, ou plus là. Peut-être aussi devenons-nous tolérants et préférons-nous fermer les yeux sur ce qui nous indispose plutôt que de soulever les problèmes fondamentaux.
Mais si l’art ne revêt dorénavant ni sens esthétique, ni sens moral, que lui reste-t-il ? Un sens politique ? Une forme de distraction, une curiosité malsaine dont la seule ambition serait d’émoustiller les foules ?
Pour Georges Rouault, « la peinture n’est qu’un moyen d’oublier la vie. Un cri dans la nuit. Un sanglot raté. Un rire qui s’étrangle. » Peut-être est-ce là tout l’avenir de l’art finalement, un rire qui s’étrangle…
Amandine
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Photo de présentation: Damien Hirst